Être avec Sylvie Cotton

Par Élaine Gauthier

Pour notre premier cycle thématique, nous avons invité l’artiste Sylvie Cotton à prendre part dans le cadre d’une résidence à nos différentes activités en écho avec son propre travail.

À l’occasion de ce bref portrait, nous voyagerons dans le riche univers de Sylvie, en faisant halte sur des notions qui parlent de rapport au monde, de création et d’esprit. Des notions qu’elle a abordées, explorées, nommées et qu’elle ne finit pas de découvrir au bénéfice de ceux et celles qui rencontrent sa pratique artistique. Résidence, rencontre, présence, art action, performance, art dharma, potentiel de transformation…

Une artiste interdisciplinaire, une artiste de l’esprit?

Artiste interdisciplinaire, Sylvie Cotton est historienne de l’art, travailleuse culturelle, écrivaine et commissaire indépendante. Elle déploie sa pratique artistique entre performance et art action, livre d’artiste, dessin, photographie, installation et écriture. Pour Sylvie Cotton qui pratique et enseigne la méditation bouddhiste depuis longtemps, « l’art consiste à vivre une rencontre avec soi, avec l’autre ainsi qu’avec les phénomènes, matériels ou immatériels, subtils ou manifestes » et à « laisser voir la coloration de cette rencontre […], le potentiel de frottements et d’influences réciproques ». Ses œuvres se retrouvent dans la collection du Musée national des beaux-arts du Québec et dans des collections privées au Québec, aux États-Unis et en Europe.

Une résonance qui conduit à la résidence

Lorsque nous avons invité Sylvie à nous accompagner pour le premier cycle de Brèches qui porte sur le thème de la présence, nous avons très vite réalisé que nous ne pouvions avoir sollicité meilleure complice dans cette aventure. Cette notion multiple résonne profondément chez elle, tel un pivot autour duquel s’enchevêtrent tant de facettes de cette femme artiste lumineuse. La présence est le matériau d’une exploration continue, un jardin qu’elle cultive assidûment à travers diverses pratiques tant méditatives qu’artistiques.  

Et, nous avons constaté que quelque chose de mystérieux était à l’œuvre à propos de cette invitation à une résidence à la Cité-des-Hospitalières puisque deux ans plus tôt, Sylvie avait manifesté le désir d’y mener un projet. Sans le savoir, nous avons répondu à cette demande. Le temps était venu. Ainsi, une autre notion fondamentale, corollaire de la présence, s’est manifestée, celle de la confiance, d’une confiance profonde dans le mouvement de la vie, de son rythme et de ses propositions.

La résidence est devenue notre expérience commune. Sylvie est venue à notre rencontre et à celle du contexte, du lieu, des réflexions et des activités que nous menons, de ce qu’elle nomme du l’autre. Elle est arrivée, ouverte, curieuse et attentive. Présence douce, rieuse et généreuse. Elle nous a rejointes, gagnée par notre proposition et désireuse d’y contribuer et d’y trouver sa voie et sa voix. Nous l’avons rencontrée en entretien pour aborder cette résonance et explorer son potentiel transformateur dans le contexte de Brèches. Elle s’insère dans notre démarche en cours, offrant sa palette de couleurs au kaléidoscope de ce premier cycle thématique consacré à la présence. Elle s’investit dans le tissu des relations que nous explorons dorénavant ensemble.

La résidence apparaît comme un médium en soi car, en invitant l’artiste à circuler, à séjourner, on active sa présence créatrice et son énergie du « faire ». Ce médium est immatériel puisque son principe actif, comme en performance, est la présence et sa chorégraphie libre.

L’atelier intérieur 

La démarche spirituelle ou méditative commence à l’adolescence. La mère de Sylvie l’emmène suivre des enseignements de Raja Yoga, le « yoga royal », le « yoga de l’esprit »; elle a quatorze ans. Pendant deux ans, Uparathi, sa professeure de yoga, va semer les graines de ce qui fleurit encore. C’est une véritable transmission qui s’opère, quelque chose s’est éveillé à ce contact. Elle lui apprend la respiration. (“Ça m’est toujours resté. Toujours, toujours, toujours, toujours”.) Elle lui apprend des chansons en anglais, en sanscrit aussi. (Je me souviens de tout ça. Ça fait longtemps, mais j’ai écouté.) C’est aussi avec elle que Sylvie découvre l’atelier intérieur, un lieu qui prend forme au travers d’exercices de visualisation.

Comme l’atelier intérieur, je sais que c’est là. Je n’y vais plus de façon formelle, avec la visualisation qu’elle nous donnait. Mais, dans le fond, méditer, c’est aller là, tu sais. (…) C’est un lieu de solitude mais aussi de plénitude. 

Par la suite, l’atelier intérieur va s’imposer comme un concept essentiel de sa pratique : un espace senti, agissant qui vit en elle et qui intervient en résidence, en performance et en toute création. C’est en lui qu’elle “accueille avec fraîcheur et ouverture conscientes ce qui est devant soi et autour de soi dans le temps et l’espace du nouveau lieu de résidence : l’autre, les phénomènes, le temps, l’espace, le vent, les saveurs, bref ce contexte suscite une curiosité de plus en plus volontaire et engagée”. Il s’agit d’ailleurs d’un symbole si puissant et signifiant qu’elle sera au cœur et au corps d’une performance en résidence au Japon : l’expression sera tatouée sur le dos de Sylvie devant public, affirmant et affichant par ce geste qui marque sa chair sa confiance en cette réalité intérieure indéfectible.

L’art dharma, l’authenticité et l’art action 

Alors qu’elle a déjà une pratique artistique établie, elle entre en contact en 2003 avec le bouddhisme zen, et dès 2005 avec l’école du bouddhisme tibétain contemporain Shambhala, fondée par Chögyam Trungpa. Ce dernier traduit et propose les enseignements bouddhistes tibétains aux Occidentaux. Chögyam Trungpa est un artiste lui-même, ce qui l’amène à développer un corpus particulier : l’art dharma. Le dharma désigne les enseignements bouddhistes en général, lesquels interrogent et étudient la nature de la réalité des phénomènes et dont l’esprit est le grand théâtre


Esprit de corps La présence à l'œuvre dans un projet d'art action : onze constats phénoménologiques
Thèse présentée comme exigence partielle du Doctorat en études et pratiques des arts, UQAM, septembre 2021,

L’art dharma va nourrir la pratique artistique de Sylvie tout en confirmant ses intuitions alors que la pratique du bouddhisme va prendre une place importante dans sa vie. Il lui apporte une vision de la nature de la réalité qui l’apaise profondément puisqu’elle y trouve une compréhension des causes de la souffrance; ces enseignements résonnent en elle. Ils lui offrent un chemin de liberté et de compassion : ils invitent à débusquer les illusions et à être présente à tout ce qui est là. Trungpa reconnaissait tout particulièrement à l’art cette puissance de transformation révolutionnaire :

« Pour changer une société, il faut en changer la culture. Et pour changer une culture, il faut en changer l’art ».  

Mais cela n’est possible que si l’art est authentique. On pourrait aussi dire vrai, résonnant, agissant.

Un art authentique serait un art qui exprime et expose des expériences directes des phénomènes. Authentiques pour la personne qui les vit, qui les rencontre. Artiste ou récepteur.rice.

La vie artistique est spirituelle 

La spiritualité et la création sont indissociables dans la vie et la pratique de Sylvie. Elle s’engage profondément dans les deux champs à travers un riche parcours de vie méditative qui se conjugue à son parcours d’artiste multiple. Les deux s’intègrent et s’amplifient en elle.

Ainsi, pour elle, l’espace de création de l’artiste, tout artiste, est sacré. On n’y fait pas n’importe quoi. L’artiste explore, transforme et se laisse transformer dans ce lieu qui a quelque chose du creuset de l’alchimiste. Les deux ont bien des points communs. Tant la vie méditative que la vie artistique requièrent un véritable engagement de la part du pratiquant s’il veut pouvoir accéder à des dimensions profondes de lui et les laisser agir. La discipline et la constance sont ici essentielles. Dans sa pratique artistique, Sylvie se donne et explore des stratégies pour cultiver la présence, cette assise de la disponibilité et des capacités d’entrer en contact avec le matériau quel qu’il soit, matériel ou immatériel, afin de le transformer par la magie de la rencontre.

Les liens que je fais entre la spiritualité et la créativité, j’ai l’impression que la plupart des artistes, même s'ils ne se disent pas spirituels, ils les vivent aussi. C’est comme si ça dépassait cette étiquette, parce que dans le fond, c’est quoi la spiritualité? C’est comme un espace intérieur, c’est comme la vie de l’esprit qui veut se dépasser ou apprendre à être ouvert. 

La vie artistique est spirituelle. Ainsi, quelque part, là où l’artiste se permet d’accéder à des espaces en lui ou elle qui lui sont inconnus et que sa création l’amène à découvrir, il ou elle entre sur le terrain de la spiritualité.

… toute pratique artistique me paraît être ou en passe de devenir un jour ou l’autre une pratique spirituelle, car c’est une pratique accompagnée de la vie attentionnée de l’esprit. Toute absorption créative le prouve. Et c’est bien ce que représente pour moi la spiritualité : la vie de l’esprit tourné vers lui-même en tant qu’il peut discerner ce qu’il lui arrive, ce qui lui apparaît phénoménologiquement.


La transformation 

Cette posture implique de s’abandonner véritablement à la puissance que recèle la rencontre, de prendre des risques devant l’inconnu, au plus près de soi, de ce qui est ressenti dans le corps, dans la présence à tous les phénomènes perçus, sans savoir ce que tisseront les fils du présent dans chaque situation. C’est accepter courageusement de rencontrer tout ce qui apparaît en soi, les émotions, la joie, la peur, les intuitions, les élans… et tout ce qui est là avec elle. La présence est mon filet. Paradoxe qui témoigne d’une confiance profonde.

État de présence alerte et attentive, extrêmement vivante. Le temps et l’espace, vécus intensément, se dilatent. Si l’intention oriente, c’est cette vitalité de la présence qui s’aventure, qui crée, qui ouvre la conscience, chez Sylvie et chez ceux et celles qui sont disponibles à ses propositions, appelés par cet acte de présence.

“L'intention et l'action me semblent indissociables lorsque je suis en état performatif: je me sens traversée par une onde dirigée par plus grand que moi. Ce n'est autre que la présence qui descend en moi, sur moi. C'est libérateur, puissant, agréable et fragile. Toute une combinaison de sensations. Surtout, l'écoute y est primordiale: je n'ai qu'à écouter, qu'à écouter, ce qui surgit et tout se déroule à merveille. Je dirais même que c'est magique. Le sentiment qui suit en est un de plénitude et de complétude.”

Dans cette rencontre animée par la présence, dans cette brèche, quelque chose se transmet qui transforme les protagonistes. Quelque chose qui les dépasse, auquel tous assistent et participent et qui les entraîne ensemble dans une expérience. Quand l’artiste s’avance là, elle ouvre la porte et donne la permission de sentir et d’éprouver cette vie en mouvement.

En ce sens, j’irais jusqu’à dire que l’artiste de l’art action se retrouve lui-même toujours un peu en retard sur son propre projet artistique car le corps en train de faire de l’art en sait davantage sur ce qui se crée que l’intellect ne pourrait le prédire, même lorsque ce mental créatif a orchestré, en aval, un faire à venir.

Là quelque chose est à l’œuvre au creux de l’artiste qui le ou la connecte à tout…

Oeuvres par Sylvie Cotton

 

Désirer, Résider, Pratique en résidence 1997-2011, Sylvie Cotton, Sagamie, 2011

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